Synesthésie

On appelle cela la synesthésie. Chez Vassily Kandinsky, elle prenait une forme sublime : la musique lui inspirait la couleur. Le peintre écoutait un morceau et des formes lumineuses jaillissaient derrière ses paupières, jaune, rouge, bleu, vert, tandis que le pinceau dansait sur sa toile. Il intitulait ses œuvres Compositions ou Improvisations.

La synesthésie se produit lorsque les sens fusionnent. Un son déclenche une image. Une couleur devient une note. Un chiffre se mue en pigment.

Chez moi, la musique cisèle des mots.

C’est une expérience difficile à décrire. Impossible, tant elle s’inscrit au cœur même de la chair. De l’intime. Il s’agit d’une transe. Une fusion mystique. Une possession. Les notes entrent à l’intérieur de mon corps. Elles pénètrent chacune de mes cellules et elles retournent tout. Elles installent le chaos propice à la création. Elles font sauter les digues. Elles brisent les tabous et construisent des ponts entre les mondes. Elles établissent des connections interdites. L’irréel devient réel. Il n’y a plus aucun mur, nulle part, jamais. Les frontières se dissolvent dans l’éventualité d’une aventure.

La musique a, sur mon organisme, un effet proche de celui d’une drogue. Elle désinhibe les possibilités secrètes. Elle me plonge dans un voyage hallucinatoire exalté. Des os se brisent et se ressoudent d’une façon inédite. Les configurations par défaut se recomposent. Le sang coule, mais il s’agit d’un sang joyeux. Un sang heureux. Un nectar fécond. La musique prend par la main l’être indécis que je suis et fait de lui un héros invincible.

Elle l’embarque vers des voyages fous, indécents, subtils et clairvoyants. A côté d’elle, la lampe du génie est une peccadille. Désormais l’être indécis peut tout. Il sait tout. Il est omniscient et omnipotent. Sa substance même a quelque chose de divin et diabolique. Au-delà.

La musique est la muse ultime. Elle intensifie tout. Elle transfigure les émotions. Elle fait oublier un instant le monde en jetant un pansement fertile sur les plaies.

La musique est la mère sacrée de mes romans. Des chapitres entiers, des personnages complets ne tiennent qu’à cela : la rencontre avec un morceau. L’euphorie monstrueuse et créatrice libérée par la rencontre virtuelle avec un musicien. La transe synesthète.

Chaque roman, dès lors, est le fruit de cette rencontre. Chacun de mes livres est le résultat d’une expérience synesthésique.

Celle-ci s’incarne dans plusieurs titres. De nombreux titres, que j’aimerais partager ici avec vous, mais comment ? La liste est longue, trop. J’ai écrit Les enfants indociles écoutant tant albums. En particulier ceux de mes compagnons de route, mes âmes sœurs de plume : Patrick Watson, Emiliana Torrini, Joana Newsom, Piers Faccini, The Cinematic Orchestra.

Mais il y eut également des rencontres fortuites. Celles, riches en élégance, qui m’ont soufflé les mots sacrés. Notamment les cinq morceaux suivants. Ils constituent, je crois, la bande-son idéale des Enfants Indociles.

L’Ayahuasca : Days like this, Tearing sky, de Piers Faccini :

La mélancolie : Sudden Throw, de l’Islandais Olafur Arnalds :

L’émotion : Golshifteh Farahani, jouant du Hang Drum, pour le film My Sweet Pepper Land (Si vous ne l’avez pas vu : go ! Ce film est un bijou rare et fragile) :

La beauté : Au Pays d’Alice, Introduction, par Ibrahim Maalouf et Oxmo Puccimo :

Le mojo : L’hôtel Particulier, Melody Nelson, de Serge Gainsbourg :

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